Point de vue sur les conférences

Samuel Liard
7 min readJan 4, 2022

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Après pas mal d’échanges pas toujours très constructifs sur Twitter à propos des conférences techs et des CFP, je vais prendre un peu de temps pour expliquer plus en détail ce que je pense et les problèmes que je remarque.

Pourquoi j’en parle ?

Je vais commencer par expliquer qui je suis et ce que j’ai fait dans ce domaine. Je me sens obligé de le faire pour éviter les flots de remarques que j’ai eu sur Twitter du style “Non mais toi, avant de critiquer tu as fait quoi ?”. Samuel développeur depuis 22 ans. Sur Lannion j’ai participé, il y 10 ans, à la création de l’association Code d’Armor pour organiser des meetup autour de sujets techniques. L’association a organisé plus de 70 meetup. Avec le GDG de Brest nous avons organisé 2 DevFest en 2019 et 2020 avec à chaque fois un peu plus de 300 personnes et en septembre 2021 j’ai organisé le DevFest de Perros Guirec avec 120 personnes. J’ai aussi assisté à pas mal de conférences tech comme Devoxx, le DevFest de Nantes, Google I/0, GDC, Eclipse Con, WWDC etc…

Sur Twitter j’ai osé faire une remarque : “On voit souvent les mêmes conférenciers en France”. A cela j’ai proposé deux solutions assez simples :

  • Ne pas sélectionner un même speaker d’une année sur l’autre
  • Si une conférence est déjà 2 fois sur YouTube, ne pas la sélectionner

Maintenant que vous avez ce résumé simple du problème, je vais vous expliquer comment j’en suis arrivé là.

Les CFP

Comme je vous l’ai dit, j’ai participé à l’organisation de 2 conférences avec CFP. J’ai compris qu’il y avait un problème quand l’argument numéro 1 pour sélectionner un talk était “je l’ai déjà vu, il est bien”. Alors oui c’est forcément plus rassurant pour un orga de sélectionner un talk qu’il a déjà vu, mais quand ça représente 80% des choix, moi ça me pose problème. Une autre erreur à mon avis c’est de ne pas s’être mis d’accord sur la notation avant. On avait une seule note à mettre par talk, c’est compliqué d’apporter de la nuance. Il y a aussi eu une entreprise de Brest qui s’est clairement fait boycotter par plusieurs organisateurs qui ont mis des zéros à tous leurs talks. C’est aussi une réalité des CFPs avec peu de relecteurs.

J’ai aussi constaté un effet de bord du service conference-hall. C’est un projet qui propose aux conférences de gérer leur CFP, pour les speakers, ça permet de proposer un talk à toutes les conférences qui l’utilisent. Pour les orgas ça simplifie la gestion du CFP. Par contre on voit bien que certains speakers proposent le même talk dans toutes les conférences juste parce que c’est très simple à faire. Un message m’a fait rire sur le slack GDG France : “On (un autre GDG) constate d’ailleurs des vagues de propositions à chaque fois que Nantes communique sur son CFP !”. A Brest la première édition était juste après le DevFest de Nantes avec un thème rock, et bien pas mal de talk avaient gardé un titre avec cette référence. Le service est donc très bien fait, mais il uniformise beaucoup les conférences qui l’utilisent.

Je voulais éviter de citer des noms, mais comme c’est plutôt positif, parlons de Zenika :) C’est une très belle entreprise qui a beaucoup d’experts tech sur pas mal de domaines. Beaucoup sont formateurs et très bon speakers. Quel est le problème du coup ? Et bien est-ce une bonne chose quand 20% des conférences sont présentées par une même entreprise ? Je ne pense pas. Dans nos CFP on se retrouve avec des dizaines de propositions de Zenika. Comment faut-il les traiter ? Comme les autres au risque d’avoir plus de 20% de speakers Zenika ? Je n’ai pas vraiment de solution…

2 derniers problèmes des CFP. Pour sortir du lot il faut surenchérir sur le titre de la conf. Ca s’est un peu calmé mais a un moment quand tu regardais la liste des talks d’une conférence il était impossible de savoir de quoi ça allait parler. La forme devenait plus importante que le fond. Le second problème c’est l’orientation des sujets en fonction de la hype du moment. A-t-on beaucoup de propositions de talk sur k8s car c’est beaucoup utilisé ou parce qu’on a vu que beaucoup de talk k8s sont sélectionnés aux conf. L’oeuf ou la poule quoi :)

Les stars

Le point qui m’a le plus choqué en tant qu’organisateur à Brest a été le comportement de certains speakers. Pas forcément les plus connus en plus, mais c’est à ce moment là que j’ai décidé d’arrêter ce type d’organisation. Par exemple, pendant le repas des speakers certains ont passé la soirée à casser du sucre sur le dos des autres conférences et à comparer toutes les confs qu’ils avaient faites depuis 2 ans. La question qui nous était le plus souvent posée par les speakers n’était pas “Alors ? c’était intéressant techniquement ? Ca a bien plu ?” mais “La vidéo de la conf sera publiée quand ?”. La dernière année on avait réservé un amphi pour faire la fameuse “salle des speakers”, c’était l’amphi le plus sale de tous à la fin de la journée. La goutte d’eau a été quand un speaker est venu se plaindre car il n’y avait que de l’eau plate à coté des pupitres.

A mon sens c’est la starification des speakers qui entraîne ces comportements. Et quand on compare l’organisation d’une conférence tech à l’organisation de concert comme les Vieilles Charrues, ça met juste en avant ce problème de speakers qui se prennent pour des rock stars. Il faut redescendre les pieds sur terre. J’ai bien aimé la réponse de mon ami Marc : “On est des maçons mec, pas Van Gogh”. N’oublions pas qui nous sommes, nous (les développeurs) sommes des bâtisseurs de logiciels, pas des stars à faire le show sur un podium. Ce qui compte c’est ce qu’on push en prod.

Pourquoi j’ai critiqué le lancement des conférences “le rendez-vous des speakers” ? Critiqué par un seul Tweet au lancement. C’était uniquement à cause du titre “rdv des speakers”, ça fait juste réunion entre speakers. Si vous voyez un meetup “rdv des ophtalmos” vous y allez vous ? Je critiquais déjà l’entre-soi des speakers et ce titre m’a fait réagir. Ca faisait un peu speakers en mal de conférences obligés d’en créer pour en faire. Et quand on voit des conférences sur le vin bio ou le cosplay, on est quand même loin de sujet technique. Mais pourquoi pas, chacun fait bien comme il veut, je n’ai pas de problème avec ça. Il faut juste bien préciser les objectifs du groupe. Je n’ai absolument pas de problème avec les organisateurs. D’ailleurs j’ai trouvé leur initiative “Les Briques Du Web” beaucoup plus intéressante car elle avait un objectif plus clair.

Revenons sur le point de ne pas faire intervenir un speaker qui a déjà sa conférence 2 ou 3 fois sur YouTube, on me répond souvent : “C’est important de pouvoir jouer sa conférence plusieurs fois pour la rentabiliser” Rentabiliser un talk ? C’est ça votre objectif ? Pour moi l’objectif numéro un c’est de partager un élément technique intéressant. Speaker ne devrait pas être un métier. Je préfère de loin une conférence pas très bien faite par une personne qui nous présente une techno qu’il utilise en production, qu’une conf très propre par un top speaker à propos d’un “hello world” qu’il a fait un weekend. On présente un talk quand on a quelque chose d’intéressant à partager. Mais il n’y a pas que les conférences pour le faire. Un blog post, un podcast ou une vidéo ça marche aussi. J’ai même une préférence pour les blog post personnellement, c’est souvent plus efficace et bien mieux référencé.

Le DevFest de Perros

Après avoir fait ces constats on a essayé de faire une conférence en évitant ces travers. C’était une seule journée avec 6 conférences sur un thème précis. Donc on a décidé de ne pas passer par un CFP. Le thème était la cybersécurité pour les dev et on a cherché sur les réseaux des personnes spécialistes du domaine. Pendant 2 mois j’ai contacté une vingtaine de personnes, 5 m’ont répondu. Les autres n’ont même pas envoyé une réponse négative malgré une relance. Donc excusez moi d’être parfois irrité quand je vois des personnes fanfaronner sur les réseaux sociaux comme quoi ils sont toujours là pour aider mais qu’ils ne daignent même pas répondre à un email :) J’ai été très étonné d‘avoir autant de mal à trouver 6 speakers. La période de pandémie et le thème très spécifique de la conférence n’a bien sûr pas aidé, mais j’ai surtout l’impression que les petites confs avec moins de visibilité n’attirent pas.

Après les 6 conférences étaient top, des sujets très techniques, des speakers qu’on ne voit pas souvent et de bons retours des participants. Fun fact, la présentatrice pour qui c’était sa première conférence a été exceptionnelle. Il y a même un des speakers qui m’a remercié d’avoir pris en charge son hôtel. Dingue non ? On a fait un autre choix assez fort : ne pas prendre de sponsor. Avec les risques d’annulation c’était compliqué. Et pour garder un tarif attractif à 30 euros, on a perdu de l’argent (2500 euros). On a pu prendre ce luxe grâce aux bénéfices des DevFest de Brest.

Et maintenant ?

Et bien rien en fait :) J’ai juste exprimé mon point de vue et de notre coté on a changé notre façon de faire. Si les autres organisateurs ne voient pas le problème et bien qu’ils continuent comme avant. Ca ne me pose pas de problème, ignorez juste nos messages au lieu de les monter en drame sur les réseaux sociaux. Et s’il vous plaît arrêtez de penser que les personnes qui critiquent ne sont que des frustrés recalés des CFP, ce n’est pas le cas.

Sur le même sujet : blog de Fabien Lamarque

Pour ceux qui n’ont pas suivi les échanges sur Twitter la semaine dernière :

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